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Solomon Northup : Le mot « liberté »

07/01/2014

« Certains pensent à tort que l’esclave ne comprend ni le mot ni l’idée de liberté. Pourtant, même à Bayou Bœuf où l’esclavage se rencontre selon moi sous sa forme la plus abjecte et cruelle – où on lui voit des traits inconnus dans les Etats situés plus au nord – les esclaves les plus ignorants comprennent en général parfaitement son sens. Ils n’ignorent pas les privilèges et les exemptions qui l’accompagnent. Ils savent qu’elle leur permettrait de conserver le fruit de leur labeur et leur garantirait la jouissance du bonheur domestique. Ils ne manquent pas de remarquer l’écart entre leur propre condition et celle du plus cruel des Blancs, ni de mesurer l’injustice de lois qui confèrent à ce dernier le pouvoir non seulement de s’approprier les profits de leur travail mais aussi de leur infliger sans raison des châtiments qu’ils ne méritent pas, sans qu’ils disposent du moindre recours ni du droit de résister ou de protester.

La vie de Patsey, notamment après cette séance de fouet, ne fut qu’un long rêve de liberté. Elle savait qu’il existait une terre de liberté loin, si loin que la distance pour l’atteindre n’était pas mesurable. Elle avait entendu raconter cent fois que quelque part plus au nord il n’y avait ni esclaves ni maîtres. Elle se représentait ce lieu comme un pays enchanté, le Paradis sur terre. Vivre là où l’homme noir pouvait travailler pour lui-même, habiter dans sa propre maison, cultiver sa propre terre : ce rêve emplissait Patsey de joie. Mais ce n’était qu’un rêve, hélas !, qui ne se réaliserait jamais. »

Solomon Northup, Twelve Years a Slave : Narrative of Solomon Northup, a Citizen of New-York, Kidnapped in Washington City in 1841, and Rescued in 1853, Auburn (N.Y.), Derby and Miller, 1853, p. 259-260. Traduction française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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