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Harriet Jacobs : Préface de l’auteur

09/10/2012

« Lecteur, sois assuré que ce récit n’est pas une fiction. Je sais que certaines de mes aventures peuvent sembler invraisemblables ; il s’agit pourtant de la stricte vérité. Je n’ai pas exagéré les maux de l’esclavage,  bien au contraire : mes descriptions restent très en deçà des faits. J’ai tu le nom des lieux et changé celui des personnes évoqués dans mon récit. Je n’avais aucune raison personnelle de les dissimuler mais j’ai estimé que ce serait faire preuve de bonté et considération envers autrui.

J’aimerais être plus qualifiée pour mener à bien ce travail mais j’espère que mes lecteurs excuseront les imperfections de mon récit au vu des circonstances. Je suis née et ai grandi en Esclavage ; j’ai passé vingt-sept ans dans un État esclavagiste. Depuis mon arrivée dans le Nord, j’ai dû travailler dur pour me nourrir et pour élever mes enfants. Je n’ai donc guère eu le loisir de rattraper le temps perdu pour me perfectionner, et n’ai pu rédiger ces pages que par intermittence, en volant une heure ici et là sur mes tâches ménagères.

À mon arrivée à Philadelphie, l’évêque Daniel Payne m’a conseillé de publier une esquisse de ma vie. Je lui ai répondu que j’en étais incapable. Même si j’ai quelque peu éduqué mon esprit depuis, je n’ai pas varié. J’espère seulement que mes motivations excuseront ce qui pourrait passer pour de la présomption. Je n’ai pas écrit mes expériences pour attirer l’attention sur moi-même ; j’aurais préféré garder le silence sur ma propre histoire. Je ne cherche pas non plus à susciter la compassion. Mais je souhaite sincèrement aider les femmes du Nord à prendre conscience de la condition des deux millions de femmes du Sud qui continuent de vivre sous le joug de l’esclavage et endurent ce que j’ai enduré, voire pire le plus souvent. Je veux ajouter mon témoignage à ceux de plumes beaucoup plus compétentes, pour montrer aux habitants des États libres la vraie nature de l’esclavage. L’expérience seule permet de saisir la profondeur, la noirceur, et la pestilence de ce gouffre abominable. Que Dieu bénisse cet effort imparfait entrepris au nom de mon peuple persécuté ! »

Harriet Jacobs, Incidents in the Life of a Slave Girl, Boston, 1861, p. 5-6. Traduction française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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