Aller au contenu principal

Charles Ball : Vente de deux femmes enceintes dans un convoi vers la Géorgie

13/04/2012

« Tôt le matin, le maître nous appela et distribua à chacun des esclaves de la chaîne un gâteau de maïs et un petit morceau de lard. Pendant notre marche vers le sud, nous n’avions mangé que deux fois par jour, et jamais avant neuf heures du matin. Ce jour-là, il nous donna à manger de bonne heure pour, dit-il, nous souhaiter la bienvenue en Caroline du Sud. Il s’adressa ensuite à nous et expliqua que nous pouvions désormais abandonner tout espoir de retourner d’où nous venions car il nous serait impossible de retraverser la Caroline du Nord et la Virginie sans être repris et ramenés. Il nous conseilla donc de nous satisfaire de notre sort, d’autant que la Géorgie, notre destination, était une terre surpassant de loin toutes celles que nous avions traversées, où nous pourrions vivre dans l’abondance. Vers le lever du soleil, suivant les ordres, nous reprîmes notre marche vers Columbia. Notre maître n’avait encore cherché à vendre aucun d’entre nous ; il avait même refusé de s’arrêter pour en discuter, alors qu’on l’avait plusieurs fois sollicité avant notre arrivée à Lancaster. Peu après avoir quitté ce village, nous fûmes dépassés sur la route par un homme à cheval, qui accosta notre maître et lui demanda si ses nègres étaient à vendre. Ce dernier lui répondit qu’il ne comptait pas nous vendre tout de suite car il se rendait en Géorgie où, le marché du coton étant en pleine expansion, il espérait nous vendre à un très bon prix à de nouveaux propriétaires qui s’installaient pour le cultiver. Contrairement à son habitude, il nous ordonna tout de même de nous arrêter et proposa à l’étranger de nous examiner puisque nous formions un excellent lot d’esclaves, étant tous des marchandises de premier choix, dont il obtiendrait le prix qu’il voudrait en Géorgie.

L’étranger, un homme mince, buriné et brûlé par le soleil, répondit qu’il avait besoin de deux jeunes femmes pour la reproduction et qu’il paierait le prix qu’elles atteindraient en Géorgie. Il ajouta qu’il avait appris à Augusta que les nègres n’étaient pas plus chers en Géorgie qu’à Columbia et que, s’étant rendu dans cette ville la semaine précédente, il connaissait bien le prix des nègres sur le marché. Il parcourut notre file d’esclaves enchaînés et nous examina tous. Il se tourna ensuite vers les femmes et demanda le prix de deux jeunes femmes enceintes. Notre maître lui répondit que c’était deux des meilleures reproductrices de tout le Maryland ; l’une avait vingt-deux ans, l’autre dix-neuf ; la première avait déjà eu sept enfants, la seconde quatre. Il avait lui-même vu ces enfants lorsqu’il avait acheté leurs mères. Il affirma qu’à mille dollars chacune elles seraient encore une bonne affaire mais qu’il était prêt à les céder pour seulement mille deux cents dollars la paire, parce qu’elles avaient du mal à tenir le rythme du convoi. L’acheteur lui répondit que c’était un prix trop élevé mais qu’il en offrait neuf cents dollars. L’offre fut refusée mais, après réflexion, notre maître affirma qu’il était prêt à les céder à un bas prix et acceptait mille cent dollars pour les deux. L’acheteur protesta et souligna les nombreux défauts et insuffisances de la marchandise. Après un long marchandage et de nombreuses plaisanteries vulgaires de la part de l’étranger, celui-ci offrit mille dollars pour les deux. C’était son dernier prix. Il enfourcha son cheval et s’éloigna. Il avait parcouru moins de cent mètres lorsque notre maître le rappela et lui dit qu’il lui vendrait les deux femmes pour cette somme s’il acceptait de le suivre jusqu’à l’atelier du prochain maréchal-ferrant sur la route de Columbia et de payer pour qu’on nous retire nos chaînes. Le marché fut conclu. »

Charles Ball, Slavery in the United States: A Narrative of the Life and Adventures of Charles Ball, a Black Man, New York, John S. Taylor, 1837, p. 71-73. Traduction française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

Commentaires fermés