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Moses Grandy : Dans les champs de maïs

09/08/2010

« La trompe sonnait au lever du soleil ; les gens de couleur devaient alors se rendre aux champs à pied, suivis du commandeur à cheval. Il fallait travailler jusqu’à midi, même durant les longues journées d’été, avant de pouvoir manger un peu ; hommes, femmes et enfants, tous étaient traités de la même façon. À midi, la charrette apportait notre petit-déjeuner. Il était posé par terre, sur de grands plateaux. Il y avait du pain, dont chacun recevait un morceau, du maïs broyé et bouilli et, en outre, deux harengs pour chacun des hommes et des femmes et un seul pour chacun des enfants. Nous buvions l’eau des fossés, quel que fût son état ; si les fossés étaient secs, des garçons nous apportaient de l’eau. Le poisson salé nous donnait toujours soif mais nous ne recevions pas d’autre boisson. Aussi assoiffé soit-il, un esclave n’est jamais autorisé à quitter son travail un seul instant pour aller chercher de l’eau ; il ne peut en obtenir que lorsque les ouvriers ont atteint le fossé à l’extrémité des rangées. Le commandeur se tenait debout, montre en main, pour nous accorder une heure exactement, et lorsqu’il disait « Debout ! », nous devions nous lever et reprendre le travail.

Les femmes qui avaient des enfants les déposaient près des haies bordant les champs et leur donnaient de la paille et d’autres bricoles pour qu’ils s’amusent ; ils risquaient de s’y faire piquer par des serpents. J’ai vu un gros serpent que l’on avait retrouvé lové autour du cou et du visage d’un enfant lorsque sa mère était allée l’allaiter à l’heure du dîner. Les esclaves travaillent en ligne, côte à côte ; le commandeur place les plus rapides devant et tous les autres doivent les suivre. Un homme noir est spécialement chargé de fouetter les autres esclaves dans le champ ; s’il ne se montre pas assez sévère, il est lui-même flagellé ; il fouette donc avec sévérité pour protéger son propre dos du fouet. Si un homme travaille dans le même champ que sa femme, il choisit une rangée à côté de la sienne afin de pouvoir l’aider autant qu’il le peut, au prix d’efforts extrêmes. Mais il évitera de se trouver dans le même champ s’il peut l’éviter ; car même en travaillant de toutes ses forces, il ne peut souvent éviter qu’elle soit fouettée et est contraint de se tenir tout près et d’observer cela ; il court toujours le risque de la voir ramenée à la maison la nuit, déshabillée et fouettée devant tous les hommes. Sur ce domaine, les mères de nourrissons souffraient beaucoup de leurs seins pleins de lait, alors que leurs enfants restaient à la maison ; elles étaient donc incapables de suivre les autres ouvriers ; j’ai vu le commandeur les frapper avec ses lanières de cuir cru, de sorte que du sang mêlé de lait coulait de leurs seins. Une femme qui commet une faute dans les champs et qui est enceinte est forcée de s’allonger au-dessus d’un trou creusé pour elle et est ensuite battue avec le fouet ou un battoir percé de trous ; chaque trou provoque une cloque. Une de mes sœurs a été si sévèrement punie de cette façon que les contractions ont commencé et que l’enfant est né dans le champ. Ce même commandeur, M. Brooks, a tué ainsi une fille nommée Mary ; son père et sa mère se trouvaient dans le champ au même moment. Il a aussi tué un garçon d’environ douze ans. Il n’a été ni puni ni même jugé dans les deux cas.

On ne dînait qu’après la tombée de la nuit, quand le commandeur ordonnait de cesser le travail et de rentrer. Le repas était semblable à celui du matin, si ce n’est que nous recevions de la viande deux fois par semaine.

Très rares sont les domaines où l’on fournit aux gens de couleur une literie ; les meilleurs maîtres donnent au mieux  une couverture ; notre maître rien. La planche que l’esclave pouvait ramasser quelque part sur le domaine, voilà tout ce dont il disposait pour s’allonger. S’il voulait se procurer une literie, il devait travailler la nuit. Pour avoir chaud, les Noirs dorment donc en général près d’un grand feu, dans la cuisine ou dans leurs cabanes en bois ; leurs jambes sont souvent couvertes de cloques ou enflées, parfois même gravement brûlées ; ils souffrent beaucoup à cause de cela. »

Moses Grandy, Narrative of the Life of Moses Grandy, Late a Slave in the United States of America, Londres, Gilpin, 1843, p. 26-29. Trad. fr. Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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