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Francis Fedric : Piété cruellement punie

14/12/2010

« Mon grand-père et ma grand-mère avaient été kidnappés en Afrique et transportés jusqu’au Maryland, d’où on les avait conduits en Virginie. Ma grand-mère apprit de sa jeune maîtresse à répéter les prières et la liturgie de l’Église protestante. Elle était illettrée mais, malgré tous les obstacles, la religion comptait beaucoup pour elle et elle avait toujours à cœur de transmettre ce qu’elle avait appris à ses enfants et petits-enfants ainsi qu’à tout son entourage.

Ma grand-mère montrait qu’elle était mue en toute circonstance par d’authentiques principes chrétiens. Elle souhaitait m’enseigner les prières et la liturgie qu’elle avait apprises. Mais le comportement de mon maître me plongeait dans la plus grande confusion et me rendait indifférent à ces questions. Il avait en effet coutume de réunir tous les enfants des cabanes des esclaves et, debout sous le porche, de leur dire :

— Regardez, vous voyez ces chevaux ?

— Oui, Monsieur, répondaient-ils en chœur.

— Vous voyez les vaches ?

— Oui, Monsieur.

— Vous voyez les moutons ?

— Oui, Monsieur.

— Vous voyez les mules ?

— Oui, Monsieur.

— Eh bien vous, les nègres, vous n’avez pas d’âme, vous êtes comme ce bétail. Lorsque vous mourez, c’est fini. Vous n’avez à vous préoccuper de rien d’autre que de vivre. Seules les personnes blanches ont une âme.

Dans mon enfance, ma mère ignorait tout de la religion et c’est à ma grand-mère que je dois toute l’instruction que j’ai pu recevoir à cet âge. Elle s’efforçait toujours, comme je l’ai dit, d’approfondir ses connaissances religieuses et d’assister à des séances de prière dès qu’elle le pouvait. C’est d’ailleurs ce qui me fit assister à la première flagellation de ma vie. Avant de la décrire, je voudrais expliquer le rôle des commandeurs. De nombreux maîtres qui possèdent de vastes plantations et des centaines d’esclaves souhaitent se décharger de la gestion leur propriété et emploient des hommes blancs pour un salaire compris entre 1200 et 1400 dollars par an afin de la surveiller. Ces commandeurs sont les plus compétents et les plus humains. D’autres propriétaires, en revanche, qui veulent économiser le coût d’un commandeur et surtout obtenir le plus grand rendement de leurs nègres choisissent leur commandeur dans les rangs des esclaves et menacent de le fouetter s’il n’est pas assez cruel avec eux, ce qu’ils ne peuvent se permettre avec un commandeur blanc.

Afin de protéger son dos, l’esclave commandeur se montre souvent d’une extrême cruauté avec les nègres placés sous ses ordres. Le maître de ma grand-mère appartenait à cette seconde espèce de propriétaires. Il avait fait du fils de ma grand-mère un commandeur.

Ma grand-mère avait commis le crime de se rendre à une séance de prières et reçut l’ordre de se faire fouetter par son propre fils. On lia ses mains devant elle avec une corde qu’on attacha à un pêcher et on dénuda son dos. Son propre fils fut ensuite forcé de lui administrer quarante coups de fouet avec une lanière de cuir cru, en présence du maître qui ne cessait de blasphémer et d’évoquer ce qu’il lui ferait s’il ne frappait pas sa mère.»

Francis Fedric, Slave Life in Virginia and Kentucky; or, Fifty Years of Slavery in the Southern States of America, Londres, Wertheim, Macintosh, and Hunt, 1863, p. 4-7. Traduction française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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