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William Wells Brown : Rêves de liberté brisés

09/12/2010

« Alors que nous avancions vers une terre de liberté, tantôt mon cœur bondissait de joie, tantôt, à force de marcher sans cesse, je me sentais incapable d’aller plus loin. Mais la pensée de l’esclavage, avec ses fouets démocrates, ses chaînes républicaines, ses chiens de chasse évangéliques et ses esclavagistes religieux, tout cet attirail de la démocratie et de la religion américaines que je laissais derrière moi, ainsi que l’idée de la liberté qui m’attendait, tout cela m’encourageait à continuer, fortifiait mon cœur et me faisait oublier la fatigue et la faim.

Le huitième jour de notre périple, il se mit à pleuvoir averse et en quelques heures nous fûmes trempés jusqu’aux os. Cela rendit notre voyage encore plus pénible. Le dixième jour, nous nous retrouvâmes entièrement démunis de provisions et incapables de savoir où nous en procurer. Nous décidâmes finalement de nous arrêter dans une ferme et d’essayer d’obtenir à manger. Nous nous dirigeâmes aussitôt vers une maison et demandâmes de la nourriture. Nous fûmes traités avec beaucoup de gentillesse et reçûmes non seulement à manger mais des provisions à emporter. On nous conseilla de voyager le jour et de nous reposer la nuit. Comme nous nous trouvions à environ cent cinquante miles de Saint-Louis, nous jugeâmes que nous serions en sécurité en voyageant dans la journée et ne repartîmes que le lendemain. Ce jour-là, nous progressâmes en pays très peuplé et traversâmes un petit village. Nous fuyions une terre d’oppression mais notre cœur s’y trouvait encore. Nous laissions derrière nous ma chère sœur et deux frères bien aimés et l’idée de les abandonner et de les quitter pour toujours nous attristait. Malgré toute la dépression dans mon cœur, la perspective d’être libre un jour et maître de mon corps me regonflait et faisait bondir mon cœur de joie. Je venais de dire à ma mère que je chercherais du travail dès que nous aurions atteint le Canada, que je comptais acheter une petite ferme et gagner assez d’argent pour racheter ma sœur et mes frères, et que nous serions heureux dans notre propre FOYER LIBRE, lorsque trois hommes s’approchèrent à cheval et nous ordonnèrent de faire halte.

Je me tournai vers celui qui semblait leur chef et lui demandai ce qu’il voulait. Il répondit qu’il avait un mandat pour nous arrêter. Les trois descendirent de cheval aussitôt et l’un sortit de sa poche une petite affiche qui nous désignait comme fugitifs et offrait une récompense de deux cents dollars pour notre capture et notre livraison à Saint-Louis. L’avis avait été émis par Isaac Mansfield et John Young.

Tandis que nous lisions l’annonce, ma mère me regarda dans les yeux et éclata en sanglots. Je fus parcouru d’un frisson glacé et d’une sensation que je n’avais jamais connue et espère ne plus jamais connaître. Ils sortirent une corde et m’attachèrent puis nous revînmes environ six miles en arrière, jusqu’à la maison de celui qui paraissait être le chef.  Nous y arrivâmes vers sept heures du soir, dînâmes et fûmes séparés pour la nuit. Deux hommes restèrent dans la pièce toute la nuit. Avant que la famille ne se retire, tous furent invités à se réunir pour prier. L’homme qui quelques heures plus tôt avait lié mes mains avec une grosse corde lut un chapitre de la Bible et dit une prière, comme si Dieu approuvait l’acte qu’il venait de commettre envers un pauvre esclave fugitif épuisé.

Le lendemain, un maréchal-ferrant se présenta et me mit une paire de menottes, puis nous commençâmes notre voyage vers le pays des fouets, des chaînes et des Bibles. Ma mère n’était pas attachée mais elle était étroitement surveillée la nuit. Nous fûmes transportés dans un charriot et après quatre jours de voyage Saint-Louis apparut. Je ne saurais décrire les sentiments qui m’envahirent à son approche.»

William Wells Brown, Narrative of William W. Brown, a Fugitive Slave. Written by Himself, Boston, The Anti-slavery Office, 1847, p. 69-73. Traduction française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

From → Fuir, Religion

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