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William Wells Brown : Un esclave rebelle

26/06/2010

« Mon maître, en bon démagogue, trouva vite des électeurs en échange de quelques faveurs et peu après son arrivée dans le Missouri il remporta un siège aux élections législatives. En son absence, M. Cook, le commandeur, dirigea la plantation et ne tarda pas à se montrer plus tyrannique et cruel. L’un des esclaves s’appelait Randall. C’était un homme d’un mètre quatre-vingts environ, bien bâti, connu pour sa force et sa puissance. Il était considéré comme l’esclave le plus précieux et le plus apte de la plantation ; mais aussi précieux et utile soit-il, un esclave échappe rarement au fouet. Randall était différent cependant. Aussi loin que je me souvienne, il avait toujours été là et je n’avais jamais entendu raconter qu’il avait subi le fouet. Le maître et le commandeur n’y étaient pour rien. Randall affirmait souvent qu’il ne se laisserait jamais fouetter par un Blanc, qu’il préférait mourir.

Dès son arrivée, Cook avait pris l’habitude de clamer qu’il fouetterait tous les nègres qu’il aurait à surveiller dans les champs. Mon maître lui avait plusieurs fois conseillé de ne pas essayer de battre Randall, mais il était décidé à le faire. Dès qu’il devint le seul dictateur du domaine, il jugea que le moment était venu. Il se mit à faire des reproches à Randall et menaça de le fouetter s’il ne travaillait pas davantage. Un jour, il lui confia une tâche immense, qui dépassait ses capacités. Le soir, comme le travail n’était pas terminé, il dit à Randall qu’il n’oublierait pas de s’occuper de lui le lendemain. Le matin, après le repas des esclaves, Cook appela Randall et lui annonça qu’il allait le fouetter. Il lui ordonna de croiser les poignets et de se laisser attacher. Randall voulut savoir pourquoi il allait être fouetté. Cook mentionna le travail inachevé de la veille. Randall répondit qu’il l’aurait terminé si cela avait été possible. Cook rétorqua que cela ne faisait aucune différence. Il serait fouetté. Randall demeura silencieux un moment puis déclara : « M. Cook, j’ai toujours essayé de vous contenter depuis que vous êtes arrivé sur la plantation et je pense que vous avez décidé de ne pas être satisfait de mon travail, quoi que je fasse. Nul n’a levé la main sur moi pour me fouetter ces dix dernières années. J’ai depuis longtemps décidé qu’aucun homme vivant ne me fouetterait. » Convaincu par son regard et ses gestes que Randall résisterait, Cook appela trois esclaves qui travaillaient à proximité et leur ordonna de saisir Randall et de le ligoter. Ils ne bougèrent pas : ils connaissaient Randall et sa force, et avaient peur de l’affronter. Dès que Cook eut donné ses ordres, Randall se tourna vers eux et leur dit : « Vous me connaissez tous ; vous savez que je suis plus fort que chacun de vous et que celui qui lèvera la main sur moi est un homme mort. Ce Blanc vous a demandé de l’aider parce qu’il ne peut pas me fouetter lui-même. » Le commandeur ne put les persuader de saisir Randall et de l’attacher et ordonna finalement à tous de retourner travailler.

Pendant plus d’une semaine, Cook ne dit rien à Randall. Mais un matin, alors que les esclaves travaillaient dans les champs, il arriva escorté de ses amis Thompson, Woodbridge et Jones. Ils allèrent trouver Randall et Cook lui ordonna d’abandonner sa tâche et de le suivre dans la grange. Randall refusa. Il fut assailli par le commandeur et ses compagnons mais parvint à les repousser et à les mettre au sol l’un après l’autre. Woodbridge sortit son pistolet et tira sur lui. Une balle le fit tomber. Les autres se précipitèrent avec leurs cannes et le frappèrent à la tête et au visage avant de le ligoter. Ils l’emmenèrent dans la grange et l’attachèrent à une poutre. Cook lui donna plus de cent coups d’un fouet très épais, puis le fit asperger d’eau et de sel et le laissa ainsi le reste de la journée. Le lendemain, Randall fut détaché et emmené chez le forgeron qui lui attacha un boulet et une chaîne à la jambe. Il fut obligé de travailler dans les champs et d’accomplir la même quantité de travail que les autres. À son retour, le maître se réjouit de voir que Randall avait été soumis en son absence. »

Williams Wells Brown, Narrative of William W. Brown, a Fugitive Slave. Written by Himself, Boston, The Anti-slavery office, 1847, p. 18-20.  Trad. française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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