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Moses Grandy : Esclaves terrassiers

08/07/2010

« Ce McPherson dirigeait des esclaves recrutés pour creuser des canaux. C’est un travail très rude. Le sol est souvent marécageux, si bien que les nègres sont enfoncés dans la boue et l’eau jusqu’à la taille voire beaucoup plus, pour couper les racines et écoper la boue ; tant qu’ils peuvent garder la tête hors de l’eau, ils travaillent. Ils habitent dans des huttes, qu’on appelle « camps », faites de bardeaux ou de planches. Ils dorment sur la boue qui leur colle au corps et font de grands feux pour se sécher et lutter contre le froid. Ils n’ont droit à aucune literie et ne peuvent obtenir une couverture qu’en travaillant en plus. Ils ne sont payés que pour ces heures supplémentaires. Leurs maîtres viennent une fois par mois toucher le salaire de leur labeur ; exceptionnellement, certains très bons maîtres donnent deux dollars à chacun de leurs esclaves, d’autres un dollar, d’autres encore une livre de tabac, et certains rien du tout. Ces esclaves reçoivent une nourriture plus abondante que ceux qui travaillent dans les champs ; c’est même la meilleure ration de toute l’Amérique : un picotin de farine et six livres de porc par semaine. La viande de porc n’est en générale pas bonne ; elle est avariée et achetée à moindre prix dans des ventes aux enchères.

McPherson assignait la même tâche à tous les esclaves ; évidemment, les plus faibles ne réussissaient souvent pas à la terminer. Je l’ai souvent vu attacher des esclaves et les fouetter de bon matin, simplement parce qu’ils n’avaient pas réussi à terminer leur tâche la veille. Après les coups de fouet, on aspergeait leur dos sanglant de saumure de porc ou de bœuf, pour augmenter la douleur. Lui restait assis, à se reposer, et surveillait. Les victimes ainsi fouettées et saumurées demeuraient attachées toute la journée, les pieds touchant à peine le sol, les jambes liées et entravées par des morceaux de bois. Elles pouvaient tout juste tourner un peu le cou. Elles devenaient les proies immobiles des mouches jaunes et des moustiques, qui s’agglutinaient sur leur dos sanguinolent et cuisant, et souffraient d’atroces tortures. Cela durait toute la journée car on ne les détachait que la nuit. Lorsqu’il fouettait un esclave, McPherson lui couvrait parfois la tête de sa chemise, pour qu’il ne recule pas devant les coups ; il pouvait aussi augmenter sa souffrance en clamant à tort et à travers qu’il allait revenir le fouetter, sans toujours le faire. Je l’ai vu fouetter des esclaves de ses mains au point que leurs entrailles devenaient visibles ; et j’ai vu des esclaves morts quand on les détachait. Il n’avait jamais de comptes à rendre.

Les mouches infectent souvent les plaies laissées par le fouet. On utilise alors une plante puissante qui pousse dans ces contrées, l’ansérine ; on la fait bouillir pendant la nuit et on lave les blessures avec ce jus très amer, qui fait sortir les vers. Pour atténuer un peu la douleur de ceux qui ont été très durement fouettés, les autres esclaves leur frottent le dos avec leur petite ration de viande grasse.

Par peur qu’ils s’enfuient, il enchaînait les esclaves invalides jusqu’à ce qu’ils puissent reprendre le travail. Cet homme avait cinq ou sept-cents hommes sous ses ordres. Il m’est arrivé de travailler pour lui lorsque je n’étais pas employé ailleurs et j’ai pu observer ses méthodes. »

Moses Grandy, Narrative of the Life of Moses Grandy; Late a Slave in the United States of America, Londres, C. Gilpin, 1843, p. 35-37. Trad. fr. Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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