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John Brown : Cobaye médical

11/07/2010

« J’avais passé quatorze ans chez Stevens et souffert continuellement de ses mauvais traitements, lorsqu’il tomba malade. J’ignore ce dont il souffrait. Ce devait être grave puisqu’on fit appel, pour le soigner, à un certain docteur Hamilton, fort renommé, du comté de Jones. Il guérit Stevens qui, de joie, lui promit de lui accorder ce qu’il voudrait. Il se trouve que ce docteur avait mené de nombreuses expériences pour découvrir les meilleurs remèdes contre l’insolation. Robuste comme je l’étais, je faisais, semble-t-il, un très bon sujet d’expérience. C’est du moins ce que jugea le docteur Hamilton qui demanda si je pouvais lui être prêté. Stevens accepta aussitôt, sans se soucier un instant de ce qui allait m’arriver. Je l’ignorais aussi.Et même si j’avais su la nature des épreuves qui m’attendaient, je n’aurais eu aucun recours. Je ne pouvais que me résigner passivement et je me livrai à lui, ignorant et terrifié.

J’observai cependant avec curiosité l’avancée des préparatifs ordonnés par le docteur. Il fit creuser un trou, de trois pieds et demi de profondeur, trois de longueur et deux et demi de largeur. On y mit de l’écorce de chêne rouge séchée qu’on embrasa. On attendit que le trou soit aussi chaud qu’un four pour retirer les braises. On plaça ensuite au fond une planche surmontée d’un tabouret. Le docteur vérifia au moyen d’un thermomètre la température dans le trou puis me demanda de me dévêtir et de m’y asseoir ; seule ma tête dépassait. Il me donna ensuite un médicament qu’il avait préparé et fit étendre sur le trou plusieurs couvertures jonchées de chevrons pour conserver la chaleur. Le résultat ne tarda pas ; j’essayai de résister aux effets de la chaleur mais je m’évanouis après environ une demi-heure. On me sortit alors du trou et l’on me ranima, tandis que le docteur notait la température du trou. On m’y plaçait au crépuscule, après ma journée de travail, car Stevens n’était pas homme à perdre des heures de travail de ses esclaves s’il pouvait l’éviter. L’expérience fut renouvelée trois ou quatre jours plus tard et cinq ou six fois en tout, le docteur m’accordant quelques jours de repos entre chacune. Il cherchait à déterminer quel médicament, parmi ceux qu’il m’administrait lors de ces expériences, m’aidait à supporter la plus grande chaleur. Il en conclut que c’était une infusion de poivre de Cayenne ; et il sut en tirer le meilleur profit. Dès son retour chez lui, il fit savoir qu’il avait découvert un remède contre l’insolation : des pilules à dissoudre impérativement dans une infusion de poivre de Cayenne. Je ne vois guère comment elles auraient pu agir puisqu’elles n’étaient composées que de farine ordinaire. Il parvint cependant à en répandre l’usage et, comme il en demandait un prix élevé, il amassa bientôt une grande fortune.

Après cette série d’expériences, il m’accorda quelques jours de repos, me soumit à une diète, puis me saigna tous les deux jours pendant environ trois semaines. Constatant ma faiblesse extrême, il arrêta et m’accorda un mois de repos, pour que je regagne une partie de mes forces. Il entreprit ensuite de déterminer sur quelle épaisseur ma peau était noire. Il utilisait pour cela des vésicatoires qu’il m’appliquait sur les mains, les jambes et les pieds, qui en portent encore les cicatrices aujourd’hui. Il tirait ma peau jusqu’à ce qu’elle se détache de la chair. Il avait coutume de faire cela toutes les deux semaines. Il m’utilisa aussi pour d’autres expériences sur lesquelles je ne peux pas m’attarder. Au total, je suis resté entre ses mains et soumis à ses expériences pendant neuf mois. À la fin, j’étais tellement affaibli que je ne pouvais plus travailler dans les champs. Je dois préciser que je n’avais jamais reçu la moindre permission de cesser le travail pendant tout ce temps, alors que mon corps cédait chaque jour. Stevens ne me laissait jamais inactif : il me confiait des tâches difficiles tant que j’en étais capable, et de plus légères quand les forces me manquaient. Trouvant enfin que les expériences du docteur m’avaient tellement affaibli que je n’étais plus d’aucune utilité dans les champs, il m’affecta à son ancien métier de charpentier et de menuisier que j’embrassai sans hésiter et que j’appréciai rapidement. »

John BrownSlave Life in Georgia: A Narrative of the Life, Sufferings, and Escape of John Brown, a Fugitive Slave, Now in England, Londres, 1855, p. 45-48. Trad. fr. Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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