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Moses Grandy : Jeunes mariés

27/08/2010

« Peu de temps après, j’ai épousé une esclave appartenant à M. Enoch Sawyer, le maître qui s’était montré si sévère avec moi. Un jeudi matin, alors que nous étions mariés depuis environ huit mois, je l’ai quittée chez elle (c’est-à-dire dans la maison de son maître). Elle se portait bien et semblait heureuse : nous réunissions peu à peu les petites choses dont nous avions besoin. Le vendredi, tandis que je m’occupais, comme d’habitude, des bateaux, j’entendis un bruit derrière moi, sur la route qui longe le canal : en me retournant, je vis une chaîne d’esclaves. Lorsqu’ils furent à ma hauteur, l’un d’eux s’écria « Moses, mon chéri ! » Je me demandais qui parmi eux pouvait bien me connaître, et je vis que c’était ma femme. Elle me cria « Je pars ». J’étais abattu. M. Rogerson chevauchait près d’eux, armé de pistolets. Je lui demandai « Pour l’amour de Dieu, avez-vous acheté ma femme ? » Il acquiesça ; et lorsque je lui demandai ce qu’elle avait fait, il me répondit qu’elle n’avait rien fait mais que son maître voulait de l’argent. Il sortit un pistolet et me dit que si j’approchais de la charrette où elle se trouvait, il me tirerait dessus. Je lui demandai la permission de lui serrer les mains mais il refusa ; il m’autorisa à lui parler en restant à distance. J’avais le cœur tellement gros que je pouvais à peine parler. Je demandai la permission de lui donner un sou : il dit à M. Burgess, l’homme qui l’accompagnait, de descendre et de le lui porter. Je lui donnai le peu d’argent que j’avais dans ma poche et lui dis adieu. Je ne l’ai jamais revue et n’ai pas eu de ses nouvelles depuis ce jour. Je l’aimais comme ma vie.»

Moses Grandy, Narrative of the Life of Moses Grandy, Late a Slave in the United States of America, Londres, Gilpin, 1843, p. 15-17. Trad. fr. Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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