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Henry « Box » Brown : Le devoir de témoigner

20/11/2010

« Les dénonciations de l’esclavage sont déjà si nombreuses, et venant d’hommes bien plus aptes que moi à en peindre toute l’horreur, que l’on m’excuserait sans doute si je restais silencieux sur le sujet. Pourtant, malgré tout ce qu’on a pu écrire, dire ou faire, la voix de ma conscience me presse d’ajouter un nouveau témoignage et de dénoncer à mon tour la tache hideuse qui salit la condition morale, religieuse et culturelle de la république américaine, en me fondant sur mon expérience récente de l’ampleur alarmante du commerce des êtres humains, sur la cruauté physique et morale à laquelle sont continuellement soumis les esclaves et sur les effets pernicieux et dévastateurs de ce commerce sur le caractère de ceux qui traitent comme des biens et des marchandises les corps et les âmes de leurs semblables. Je suis en effet persuadé que l’on n’a pas assez écrit, parlé, agi, tandis que quatre millions d’êtres humains dotés d’âmes immortelles passent leur vie dans les États du Sud. La voix céleste de la liberté les stimule et ils demandent à être illuminés par la grâce du Dieu tout-puissant. Ayant moi-même connu cette situation mais ayant pu briser mes chaînes grâce à la bénédiction divine et fuir vers une terre de liberté, je considère comme un devoir sacré envers l’humanité de consacrer ma vie à la rédemption de mes frères humains.

L’histoire de mes propres souffrances n’aura guère d’intérêt pour les amateurs d’aventures palpitantes, d’événements tragiques et de scènes sanglantes : à de nombreux égards, ma vie, y compris comme esclave, fut relativement confortable. J’ai toujours été traité avec toute la gentillesse dont les propriétaires d’esclaves sont capables ; mais si mon corps a échappé aux coups de fouet, mon esprit, lui, a gémi sous des tortures qui ne seront à mon avis jamais révélées, parce que le langage est incapable de les exprimer, si bien qu’elles ne sont connues que de ceux qui ont à les endurer. Le fouet, le martinet, le gibet le pilori, le battoir, la prison – bien que sanglants et barbares par nature – ne peuvent être comparés aux tourments que ressent votre âme lorsqu’un tyran sans pitié arrache d’entre vos bras l’objet de votre affection et les petits chéris qui, par leurs demandes d’attention parentale, vous font connaître la douce sensation du bonheur d’être parent. J’admets volontiers que j’ai joui pleinement de tous les bonheurs qu’apporte une existence d’esclave. J’ai ressenti la douce influence du pouvoir de l’amitié et le rayonnement plus délicieux encore de l’amour, et si je n’avais jamais entendu le mot de liberté ni vu un tyran lever sa main cruelle pour frapper mon compagnon et mon ami, je me serais peut-être traîné jusqu’à la tombe les chaînes aux pieds et j’aurais été inhumé dans une terre polluée par l’esclavage ; grâce à Dieu, j’ai entendu ce mot glorieux et ressenti son effet exaltant dans mon cœur, si bien que, conscient de la valeur de la liberté, j’ai résolu de l’acheter quel qu’en soit le prix.

Henry Box Brown, Narrative of the Life of Henry Box Brown, Who Escaped from Slavery, Enclosed in a Box 3 Feet Long and 2 Wide. Written from a Statement of Facts Made by Himself, Boston, Brown and Stearns, 1849, p. i-ii. Traduction française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

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