Aller au contenu principal

Henry Bibb : Le dimanche des esclaves

19/03/2011

« En 1833, j’éprouvai de vives impressions religieuses et de nombreux esclaves des environs étaient très désireux d’apprendre à lire la Bible. Une mademoiselle Davis, une jeune fille blanche et pauvre, proposa de faire classe aux esclaves le dimanche, en dépit de l’opinion publique et de la loi. Elle se procura des livres et commença son enseignement ; mais le bruit se répandit vite parmi nos propriétaires qu’elle nous apprenait à lire. Cela suscita une grande émotion. Des patrouilles furent chargées de mettre fin à ces séances dès le dimanche suivant. Ils étaient déterminés à nous empêcher de créer une école du dimanche. S’agissant d’esclaves, une école biblique s’appelle une manœuvre incendiaire.

Peu d’esclaves voient dans le dimanche un jour de repos. Ils n’ont pas d’école biblique à fréquenter et ne reçoivent souvent aucune instruction morale ou religieuse, même dans les lieux où ils se comptent par centaines. Ils sont donc condamnés à se divertir. Ceux qui n’embrassent pas la religion se rendent en foule dans les bois pour jouer, se battre, se soûler et violer le sabbat. Les propriétaires les y encouragent souvent. Lorsqu’ils veulent s’amuser, ceux-ci se mêlent aux esclaves et leur donnent du whisky pour les voir danser, pratiquer la juba*, chanter et jouer du banjo. Ils les incitent aussi à lutter, à se battre, à faire des concours de saut et de course à pied, et à se donner des coups de tête comme des béliers. Ils leur fournissent pour cela du whisky et lancent des paris ; ils placent des brindilles sur la tête d’un esclave et en excitent un autre à les balayer de la main, ce qui passe pour une insulte et provoque une bagarre s’il y parvient.

Avant de s’empoigner, les deux parties choisissent un second, qui les assiste pendant le combat ; on forme un cercle dans lequel personne n’a le droit de pénétrer tant que dure la bagarre, hormis les seconds et les messieurs blancs. Les deux esclaves n’ont pas le droit de se battre en duel ni d’utiliser des armes, quelle qu’elles soient. Ils peuvent frapper avec les pieds et les mains et se donner des coups de tête ; ils s’attrapent par les oreilles et se cognent la tête comme des béliers. S’ils semblent sur le point de se blesser gravement, les maîtres leur donnent des coups de canne pour qu’ils arrêtent. Après s’être battus, ils se réconcilient, se serrent la main, boivent un coup ensemble et n’y pensent plus. »

Henry Bibb, Narrative of the Life and Adventures of Henry Bibb, an American Slave, Written by Himself, New York, 1849, p. 21-23. Traduction française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

*Juba ou djouba : danse sans instruments, où les rythmes sont frappés sur le corps.

Commentaires fermés