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Moses Roper : Tortures en tout genre

28/03/2011

«  Le lundi, je continuai de fuir en direction de Lancaster* et arrivai à trois miles de la ville cette nuit-là. Je me dirigeai vers la plantation de M. Crockett car je connaissais certains de ses esclaves et espérais obtenir à manger. Mais les chiens me flairèrent et se mirent à aboyer ; M. Crockett sortit de chez lui, me poursuivit avec son fusil et me rattrapa. Il me mit sur un cheval, ce qui me fit terriblement souffrir à cause du poids des chaînes que j’avais aux pieds. Nous atteignîmes la prison de Lancaster dans la nuit et j’y fus enfermé. Mon cachot jouxtait celui d’un homme qui allait être pendu. Je n’oublierai jamais ses cris et ses râles, tandis qu’il passait la nuit à implorer Dieu d’avoir pitié de lui. M. Gooch resta sans nouvelles de moi plusieurs semaines ; dès qu’il en reçut, il envoya son beau-fils, M. Anderson, me chercher. M. Gooch vint en personne à un mile de Lancaster et nous attendit. Je n’avais désormais de fers qu’à un seul pied car mes chevilles avaient tellement maigri que j’avais réussi à dégager le second en prison. Son beau-fils me lia les mains et me fit marcher à côté de lui jusqu’à ce que nous le rencontrions. Dès que nous parvînmes au gué de McDaniel, deux miles en amont du bac, sur le fleuve Catawba, ils me firent traverser à pied, tandis qu’eux avançaient à cheval. L’eau était très profonde si bien qu’avec mes fers à la cheville et au cou, je perdis pied. Ils me tirèrent par la chaîne que je portais, pour que je flotte à la surface. Vu la force du courant, c’est tout ce qu’ils pouvaient faire. Ils me ramenèrent chez eux, me fouettèrent, me mirent d’autres fers au cou et aux pieds et me confièrent au surveillant, en m’imposant plus de travail que jamais. Gooch ne me fouetta pas aussi sévèrement qu’avant mais continua de le faire chaque jour. Voici l’un des instruments de torture qu’il employa :

On utilise cet appareil pour compresser et emballer le coton. Gooch me suspendait par les mains en a, tandis qu’un cheval tournait autour de l’axe, actionnant la vis vers le haut ou le bas, pour que le bloc c comprime le coton placé dans le compartiment d. Cette fois-là, il me suspendit un quart d’heure. Je me trouvais à dix pieds du sol lorsqu’il me demanda si j’étais fatigué. Il m’accorda un repos de cinq minutes puis me fit de nouveau tourner ainsi, avant de me redescendre et de m’enfermer dans le compartiment d pendant dix minutes. Je passai plusieurs mois chez lui après cette séance de torture. Il m’ôta mes fers vers le début de 1832 mais j’avais tellement peur de lui, après ses menaces de punitions plus sévères, que je fis une nouvelle tentative d’évasion. Cette fois, j’atteignis la Caroline du Nord mais une récompense était promise à celui qui me ramènerait et un certain M. Robinson me captura et m’enchaîna à une chaise sur laquelle il passa toute la  nuit en ma compagnie, avant de me ramener. C’était un samedi. M. Gooch s’était rendu à l’église, à plusieurs miles de chez lui. À peine rentré, il me versa du goudron sur la tête, m’en barbouilla tout le visage, s’empara d’un flambeau dont la mèche était allumée et y mit le feu. Il l’éteignit avant que je sois trop gravement blessé mais je ressentis des douleurs atroces car presque tous mes cheveux avaient brûlé. Le lundi, il me remit des fers ; ils pesaient près de cinquante livres. Le dimanche, il menaça de nouveau de me fouetter davantage ; le lundi suivant, avant l’aube, je m’échappai de nouveau, avec mes fers, et parcourus environs deux miles en trois heures. J’avais progressé assez loin lorsque je tombai sur un homme de couleur qui m’ôta mes fers en utilisant des coins. Mais je fus repris et enfermé dans la prison de Charlotte, où M. Gooch vint me chercher pour me ramener à Chester. Il me demanda comment je m’étais débarrassé de mes fers. Comme c’est un esclave qui m’avait aidé, je refusai de répondre, craignant que celui-ci ne fût puni. Gooch me mit les doigts de la main gauche dans un étau et serra jusqu’à ce que je perde tous mes ongles. Il demanda ensuite qu’on mette mes pieds sur une enclume et chargea un homme de les frapper jusqu’à ce que certains de mes ongles soient réduits en miettes. Je porte encore les traces de ce traitement puisqu’ils n’ont jamais poussé normalement depuis. Il me soumettait à ce châtiment pour me faire avouer comment je m’étais débarrassé de mes fers mais n’y réussit pas. Après cela, il ne sut plus guère quoi faire de moi, comme s’il avait épuisé tout son arsenal de cruautés. Il m’enchaîna dans la remise. Il envoya peu après une esclave vérifier que je ne pouvais pas m’enfuir. Or il ne m’avait pas aussi bien attaché qu’il le pensait. Il avait passé la chaîne dans l’anneau mais sans la cadenasser. Je l’avais remarqué ; à l’arrivée de l’esclave, j’étais occupé à desserrer la chaîne, en me servant de ma main valide. Dès que je vis la femme approcher, je resserrai la chaîne, si bien qu’elle crut que j’étais solidement attaché et repartit en informer mon maître, qui donnait des ordres aux esclaves dans les champs. Dès qu’elle fut partie, je tirai la chaîne à travers l’anneau, me glissai sous les planches de la remise, continuai sous la maison, sortit à l’autre extrémité, et me mis à courir. J’avais tellement mal partout et j’étais si faible que je parcourus moins d’un mile avant d’être repris et ramené une nouvelle fois. Gooch m’attacha à un arbre dans les bois, en pleine nuit, et ordonna à ses esclaves de me fouetter. Je suis incapable de dire combien de coups de fouet je reçus mais ce fut la pire flagellation de ma vie et la dernière infligée par M. Gooch. »

Moses Roper, A Narrative of the Adventures and Escape of Moses Roper, from American Slavery, Philadelphie, Merrihew & Gunn, 1838, p. 27-30. Traduction française Hélène Tronc. Tous droits réservés.

*Lancaster : ville de Caroline du Sud, près de la frontière avec la Caroline du Nord.

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